Les personnes arrêtées dans le Reich

Descriptif rapide


La totalité des Français internés à Mauthausen n’a pas été déportée depuis la France au sein des convois de déportation vers les camps et les prisons du Reich. Au moins 662 [1] ont été dirigés sur l’un des camps du complexe autrichien après avoir été arrêtés en Allemagne ou dans des territoires sous sa domination, où la plupart d’entre eux se trouvaient en tant que travailleurs. Les dates de leurs départs en Allemagne s’échelonnent sur toute la durée de la guerre, quelques-uns partant dès le mois de novembre 1940, mois de promulgation d’un décret autorisant l’ouverture de bureaux de placement allemands pour le recrutement de travailleurs dans les territoires occupés. Jusqu’à l’automne 1942, les départs sont sporadiques et concernent des affectations au bénéfice d’entreprises allemandes d’hommes ayant volontairement signé un contrat de travail. Encore nombreux à l’automne, les travailleurs volontaires sont alors rejoints par des travailleurs forcés tombant sous le coup de la loi du 4 septembre 1942 sur l’ « utilisation et l’orientation de la main-d’œuvre. » [2] En 1943, les mois de mars et de juin concentrent l’essentiel des départs, par suite notamment de la loi du 16 février 1943 instaurant le Service du Travail Obligatoire [3]. Derrière les travailleurs, partis de France volontairement ou sous la contrainte, qui représentent près des deux tiers du groupe, se trouvent au moins 127 hommes faits prisonniers par les Allemands au cours de la campagne de mai-juin 1940. Après un internement en Stalag, certains prisonniers de guerre ont, à partir d’avril 1943, été « transformés » en travailleurs libres et ont pu ainsi bénéficier d’avantages afférents à ce nouveau statut, leur permettant notamment de se déplacer plus librement et de percevoir un salaire, même si ce choix leur ôtait la protection de la convention de Genève. Largement majoritaires, les différentes catégories de travailleurs n’englobent pas la totalité des Français internés à Mauthausen suite à une arrestation en Allemagne : on trouve ainsi notamment trois engagés volontaires dans la Légion des Volontaires Français ainsi que quelques Alsaciens-Lorrains soumis au RAD [4] ou incorporés de force dans la Wehrmacht.

Si les cadres des départs en Allemagne de ces Français sont bien connus, il n’en est pas de même sur les motifs et conditions de leurs arrestations qui ont été majoritairement opérées en Allemagne et en Autriche annexée. La dispersion des hommes, et du même coup des archives, l’éloignement géographique des familles et des réseaux de sociabilité rendent difficile, surtout pour les détenus décédés, la reconstitution des affaires et des faits ayant conduit les autorités répressives à procéder à des arrestations. La consultation d’archives fiables [5], qui n’a pas été possible dans tous les cas, permet toutefois de hiérarchiser les motifs d’interpellation. Arrivent en tête les infractions à la réglementation du travail ou l’attitude dans le cadre de celui-ci. Elles reflètent la diversité des formes d’opposition à la participation à l’effort de guerre du Reich allant du ralentissement de la production au sabotage de celle-ci même si dans certains cas l’on se trouve en face de conflits ou d’infractions qui ne s’inscrivent pas dans un objectif de nuire à l’économie allemande. Viennent ensuite les motifs de droit commun : vols, trafics de cartes d’alimentation ou marché noir. A côté de ces actes qui sont le plus souvent le fait de détenus isolés, l’on retrouve de véritables affaires de démantèlement de groupes qui s’étaient notamment rendus coupables d’écoute de la radio alliée, à l’image des arrestations, entre septembre et décembre 1944, de Français travaillant à l’usine de caoutchouc synthétique Buna à Schkopau [6], ou d’autres opérées pour les mêmes raisons à l’usine de montage d’avions Focke-Wulff de Cottbus à la fin janvier 1945. Dans d’autres cas, c’est la fourniture aux Alliés de renseignements sur les usines, les mouvements de troupes et les bombardements qui est invoquée par les rescapés, à l’image des seize travailleurs requis pour le compte des usines Schoeller Bleckmann à Ternitz, dont au moins la moitié était membre de la JOFTA [7] et qui ont été arrêtés entre la mi-février et le 2 mars 1945 avant d’être dirigés sur la prison de Wiener Neustadt, l’AEL [8] de Maria Lanzendorf, évacués à pied vers Mauthausen où ils arrivent le 16 avril 1945. D’une manière générale, il est difficile de connaître la nature exacte des actions de ces groupes de même que leur impact, les survivants indiquant parfois à demi mots et à regret avoir été arrêtés avant la mise en pratique des buts arrêtés par leur organisation. La constitution de ces groupes a toutefois permis de développer la solidarité au sein des usines et entreprises allemandes, et d’apporter un soutien moral aux hommes éloignés pour de longs mois de leur famille, à l’image de l’assistance spirituelle offerte à leurs compatriotes par les membres de l’Action Catholique, dont Marcel Callo est le représentant le plus connu. Le 3 décembre 1943, une note signée de Kaltenbrunner, chef du RSHA, indiquait que « le secours spirituel des travailleurs civils français, belges, hollandais… par des prêtres de leurs pays est et reste interdit et doit être jugulé par tous les moyens. » En raison de la poursuite de leur action, les jocistes seront victimes de vagues d’arrestations au printemps et à l’été 1944, Marcel Callo étant arrêté le 17 avril à Zella-Mehlis en Thuringe tout comme Jean Tinturier le surlendemain à Schmalkaden. Tous deux arrivent à Mauthausen le 25 octobre 1944 en provenance de Flossenbürg en compagnie d’au moins vingt autres compatriotes.

L’amplitude chronologique des internements à Mauthausen des Français arrêtés hors du territoire national est particulièrement importante : ils sont, si l’on excepte le cas de quelques dizaines de prisonniers de guerre français internés, mais également les derniers à entrer dans le complexe concentrationnaire autrichien. Ainsi, le premier Français reçoit le matricule 3105 en août 1941, les trois derniers Français, extraits des prisons de Dresde et de Reichenberg, étant immatriculés le 19 avril 1945. D’autre part, une dizaine au moins sont acheminés directement à Ebensee au cours des derniers jours de la guerre et ne sont pas immatriculés. Pour près de la moitié de ces Français, Mauthausen ne constitue pas la première expérience concentrationnaire et bon nombre sont arrivés en Autriche au sein des transferts de Dachau des 18 août et 16 septembre 1944, d’Auschwitz en janvier 1945, de Sachsenhausen et de Gross Rosen en février de la même année. Les détenus n’ayant connu que le système carcéral sont essentiellement extraits des prisons proches du camp, notamment Vienne (31 %) et Linz (13 %). Ainsi, concernant les Français, le rôle d’AEL local de Mauthausen a été particulièrement limité, les arrivées au camp, faibles jusqu’à la fin de l’été 1944, mais également au cours des deux derniers mois de cette même année, se situant très largement dans le cadre de l’évacuation des camps et des prisons à mesure de l’avancée des armées alliées où les spécificités de leurs arrestations ne jouent le plus souvent aucun rôle. Cette absence de distinction les conduit à subir un sort identique aux déportés depuis la France et ils sont affectés dans les différents Kommandos de Mauthausen en même temps que les autres détenus avec lesquels ils sont entrés dans le camp autrichien. Reste toutefois un cas particulier, celui des prisonniers de guerre officiers ou sous-officiers évadés et repris. Le 4 mars 1944, Kaltenbrunner signait un décret prévoyant qu’ils devaient être remis au chef de la police de Sûreté pour être conduits à Mauthausen dans le plus grand secret pour y être exécutés. S’il s’agit essentiellement de prisonniers de guerre soviétiques, nous avons trouvé la trace, grâce au registre des exécutions, de neuf Français dont cinq au moins sont explicitement mentionnés comme ayant été exécutés dans le cadre du décret « Kugel » (balle). De manière plus générale, la mortalité de ces Français a été particulièrement importante puisque plus de 53 % n’ont pas revu la France.

Adeline Lee

Biographies :

BAREL Benoît, Marcel Callo, 1921-1945 : scout, jociste, ouvrier, martyr, Paris, Ed. de l’Agneau, 1987, 31 p.

BAY Francine, Beaucoup trop catholique : le bienheureux Marcel Callo, Paris, P. Téqui, 2004, 141 p.

BESCHET Paul, FIEVET Michel, MONTARON Georges, Martyrs du nazisme : Marcel Callo… et les autres, Paris, Ed. ouvrières du Témoignage chrétien, 1987, 73 p.

DHOMBRE Pierre, Marcel Callo et la JOC-JOCF, Paris, Ed. Fleurus, coll. « Les Grandes heures des chrétiens », 1990, 47 p.

FAVRAIS Robert, La JOC nous a donné : Marcel Callo, jeune ouvrier martyr de la foi, Rennes, Imprimatur, 1987.

FAVRAIS Robert, ROYER Eugène, Marcel Callo, jociste et martyr, Coutances, Iffendic, 1987, 32 p., supplément à « Actualités de notre temps », août-septembre 1987.

FERNESSOLE Pierre, Jean Batiffol, prêtre du diocèse de Paris mort au camp de déportation de Mauthausen le 7 mai 1945, Paris, Ed. Alsatia, 1951, 191 p.

GOUYON Paul (cardinal), Marcel Callo, témoin d’une génération, 1921-1945, Paris, Ed. S.O.S., 1981, 171 p.

JEGO J.B. (Révérend Père), Un exemple, Marcel Callo, 1921-1945. Jociste mort au bagne de Mauthausen, Rennes, H. Riou-Reuzé éditeur, 1947, 253 p.

JEGO J.B. (Révérend Père), L’enfer de Gusen, chapitre complémentaire à la vie de Marcel Callo, Rennes, H. Riou-Reuzé éditeur, 1948, 26 p.

LE BOURSICAUD Henri, Marcel Callo : aventurier de l’espérance, Charenton-le-Pont, H. Le Boursicaud, Paris, diffusion Pères redemptoristes, 1992, 205 p.

LEMONON Michel, Jean Perriolat, témoin du Christ en STO, déporté et mort à Mauthausen, Romans, Imp. Deval, 1989, 95 p.

MOLETTE Charles, Jean Tinturier : (Vierzon, 20 février 1921 - Mauthausen, 16 mars 1945) : séminariste, l’un des Cinquante, Paris, Guibert, 2008, 234 p.

[1Les cas de vingt-huit autres Français n’ont pu être tranchés avec certitude.

[2JO du 13 septembre 1942, p. 3122, loi n° 869. Elle prévoyait que les Français âgés de plus de 18 ans et de moins de 50 (et les Françaises célibataires de plus de 21 et de moins de 35 ans) pouvaient être « assujettis à effectuer tous travaux que le Gouvernement jugera utiles dans l’intérêt supérieur de la Nation. » Une modification du 26 août 1943 vient inclure ces limites d’âges dans le champ des personnes concernées par la loi.

[3Sont concernés les hommes des classes nés entre 1920 et 1922.

[4Le Reichsarbeitsdienst (RAD) est introduit en Alsace-Moselle annexée au printemps 1941. Il s’agit officiellement d’un service de travail qui s’avère dans les faits être une formation militaire pour les jeunes issus de ces territoires.

[5Notamment les Häftlings-Personal-Karte des hommes passés par Sachsenhausen qui indiquent le motif de l’incarcération.

[6Connue sous le nom d’ « affaire Frossard », du nom de son principal responsable.

[7Jeunesse ouvrière française travaillant en Allemagne.

[8Arbeitserziehungslager (AEL) : camps de rééducation par le travail. Ces camps, créés en 1939 et administrés par la Gestapo, avaient pour fonction de « rééduquer » les travailleurs étrangers contrevenant à la réglementation sur le travail. S’il s’agit de centres de détention spécifique, où les hommes ne restaient que quelques semaines avant de regagner leur lieu de travail, certains camps de concentration ont pu jouer un rôle identique. On pourra lire Gabriele Lofti, KZ der Gestapo : Arbeitserziehungslager im Dritten Reich, Stuttgart, Deutsche Verlags-Anstalt, 2000, 451 p.


ps